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jean-fred
24 avril 2007

Certes c'est long, mais c'est à lire !!!!

L'article du dernier numéro de Marianne sur Sarko, pour ceux, nombreux, qui
n'ont pas pu l'avoir et pour le diffuser autour de vous afin qu'on essaie,
de toutes nos forces, d'éviter le pire.

LE VRAI SARKOZY

Ce que les grands médias n'osent pas ou ne veulent pas dévoiler

de Jean-Francois Kahn, avec Serge Maury, Philippe Cohen, Laurence Dequay et
le service France de "Marianne"

Glaçant ! Il a dit glaçant. Mais s'il ne l'avait pas dit ?
Car enfin, sept jours avant que François Bayrou ne laisse tomber ce glacial
jugement, le généticien Axel Kahn avait déjà, dans Marianne, agité le
grelot. Ainsi Nicolas Sarkozy, qui, déjà (ceci explique cela), voulait faire
repérer chez les marmots de 2 ans les bourgeons de la délinquance, avait pu,
dans Philosophie Magazine, déclarer que, selon lui, la pédophilie et le
suicide des adolescents étaient d'origine génétique, qu'on était en quelque
sorte biologiquement programmé pour la déviance ou l'autodestruction, que
l'action éducative ou sociale n'y pouvait rien, le rachat ou la miséricorde
divine non plus - retour terrifiant du concept eugéniste du gène du crime -
sans que, pendant dix jours, aucun journal quotidien ou hebdomadaire, aucune
radio ou télévision réagisse.
Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, avant la riposte bayrouiste, notre
confrère le Monde, que des dérapages de Le Pen qui allaient beaucoup moins
loin faisaient immédiatement monter au créneau, n'avait même pas consacré 10
lignes réprobatrices à cette stupéfiante rémanence de l'idéologie
socio-biologique de l'extrême droite païenne. Comme s'il était beaucoup plus
dangereux de tacler le patron de l'UMP que de stigmatiser le leader du Front
national.
Comme si Sarkozy faisait peur.
Or cette sortie intervenait après l'annonce de la création, en cas de
victoire de la droite, d'un « ministère de l'intégration et de l'identité
nationale », annonce qui avait littéralement sidéré, et pour cause, la
presse allemande, et dont même l'extrême droite autrichienne de Jôrg Haider
avait tenu à dénoncer les « nauséeux relents ». Et, surtout, après la série
de furieuses philippiques, telles qu'on n'en avait plus entendu depuis
quarante ans, inimaginables dans quelque pays européen civilisé que ce soit,
relents de propagande stalinienne des années 50 et de rhétorique fascisante
d'avant-guerre, qui revenaient à décrire les concurrents du leader UMP,
qu'ils fussent centristes ou sociaux-démocrates, comme les candidats
protégeant les délinquants, le vol et la fraude, donc du crime, les suppôts
des voyous, les représentants du parti des malhonnêtes gens et de la
dégénérescence morale, l'anti-France enfin, c'est-à-dire l'incarnation de la
haute trahison. Or, cela n'avait nullement empêché que Jean-Louis Borloo,
même malheureux comme les pierres, s'aplatisse ; que Simone Veil, fût-ce de
la plus mauvaise grâce possible, assure la claque et, dans un premier temps
au moins, que les médias, presque tous les grands médias, s'écrasent.
Tant le personnage fait peur.

SES MOTS POUR LE DIRE
Pourquoi ? Parce que ses entreprises de séduction envoûtent. Parce qu'il
dispose, partout, et surtout dans les médias, d'amis dans la place et très
haut placés ? Ou parce qu'on redoute la brutalité de ses réactions ?
La preuve par l'affaire Azouz Begag. La scène se passe en 2006 : le ministre
délégué à l'Egalité des chances, interpellé à propos de quelques fortes
saillies du ministre de l'Intérieur, s'excuse : « Je ne m'appelle pas Azouz
Sarkozy. » En guise d'agression, on a connu plus destructeur ! Aussitôt,
explosion de fureur de Sarkozy qui menace « de casser la gueule de
l'insolent » et lui hurle, par saccades rageusement répétitives, qu'il est «
un connard, un salaud, qu'il ne veut plus jamais le voir sur son chemin ».
On imagine, un instant, Malek Boutih racontant, dans un livre, que Ségolène
Royal lui a aboyé à la figure que François Hollande allait « lui casser la
gueule » parce qu'il aurait osé murmurer : « Je ne m'appelle pas Malek
Royal. » Aussitôt, invitation sur tous les médias à raconter l'histoire,
comme l'ex-socialiste Eric Besson. Là, service minimum. C'est Sarkozy qui a
obtenu, comme toujours, le temps de parole. Pour expliquer que ce d était là
qu'infâme menterie. D'ailleurs, a-t-il expliqué sur iTélé, il « croit
n'avoir jamais rencontré Azouz Begag ». Surréaliste ! Depuis deux ans, ils
font partie du même gouvernement. On imagine ce que signifierait le fait
qu'effectivement, bien que siégeant sur les mêmes bancs et participant aux
mêmes conseils, Sarkozy ait refusé de voir Begag !
Pour une fois, cependant, le démenti sarkozyen fait flop. Tout le monde
sait, en effet, que les mots que rapporte Azouz Begag sont les siens et pas
les pires ; que ces derniers jours, par exemple, il n'a cessé de traiter de
« connards » ses propres conseillers et animateurs de campagne, accusés
d'être responsables de la moindre difficulté de campagne. Un article qui le
défrise dans Libération ? Il téléphone au propriétaire, qui est un ami : «
Vous êtes un journal de merde ! Avec des journalistes de merde ! » Il
refuse, contrairement à Royal et à Bayrou, pourtant très maltraité par Libé,
de se rendre dans ce journal pour un entretien avec la rédaction : « Libé
n'a qu'à se déplacer ! ». Il considère qu'il n'a pas été reçu à France 3
national avec les honneurs qui lui sont dus. A l'adresse de la direction il
hurle : « Si je suis élu, je vous ferai tous virer ! »

INSULTES...
C'est d' « enculés » que se font traiter les confrères d'une radio qui lui
ont apparemment tapé sur les nerfs... qu'il a sensibles. Il soupçonne un
journaliste d'être favorable à François Bayrou. « Ils couchent ensemble »,
commente-t-il. Evoquant certains de ses adversaires, il prévient, carnassier
: « je vais tous les piquer. Les niquer ! » Plus macho, tu ouvres un harem.
Parlant de Michèle Alliot-Marie, qu'il soupçonnait, à tort, d'avoir joué un
rôle trouble dans l'affaire Clearstream, ne l'appelle-t-il pas « la salope »
? L'économiste et expert financier Patrick Artus critique certaines
propositions du candidat UMP Il reçoit aussitôt un mail de son chef de
cabinet « On s'en souviendra ! » Même expérience rapportée par un industriel
qui eut le malheur de déplaire « On se retrouvera. On est pour moi ou contre
moi ! » « Je n'ai jamais été confronté, raconte ce patron, à un entourage
aussi agressif, aussi belliqueux. » Pourquoi le préfet Dubois, responsable
des relations presse de la Préfecture de police, est-il débarqué du jour au
lendemain : parce qu'il aurait ricané des ennuis conjugaux du ministre !
Une enquête télé avait été réalisée dans les Hauts-de-Seine. Elle montrait
l'incroyable pesanteur des pressions (avec carotte et bâton, promesses et
chantage) qui se sont exercées sur les élus UDF de ce « Sarkoland » pour
qu'ils lâchent Bayrou. V enquête en question a été « trappée », comme on
dit, sur ordre de la direction. Elle aurait déplu ! Sur une radio,
interdiction a été faite à un confrère de rappeler, statistiques à l'appui,
que le bilan du ministre en matière de sécurité n'est pas bon. Ça eût
dérangé !

IL N'A PLUS BESOIN D'INTERVENIR
Or, comme on ne prête qu'aux riches, on soupçonne systématiquement Sarkozy
d'être intervenu. Mais, le plus souvent, ce n'est pas le cas. Ce n'est pas
la peine. Il n'a même pas besoin. Quand Paris Match avait publié un
reportage sur les amours new-yorkaises de Cécilia et de son chevalier
servant, il avait, effectivement, proclamé à la cantonade qu'il aurait la
peau du directeur de la rédaction, Alain Genestar. Mais il en resta là.
Mieux il obligea Arnaud Lagardère à attendre plusieurs mois avant de le
virer. Au Journal du dimanche, mieux encore : parce qu'il avait appris qu'on
s'apprêtait à virer le directeur de la rédaction du journal, soi-disant pour
lui complaire, il n'intervint cette fois, après avoir reçu et sans doute
retourné le confrère, que pour exiger qu'il reste en place. Il a même tenu à
donner son avis sur la journaliste politique que devrait embaucher une radio
et sur le directeur que ne devrait pas engager Libération ! Ne prend-il pas
un malin plaisir à lancer aux journalistes qui lui font cortège : « je
connais très bien votre patron. Je sais ce qui se passe dans votre
rédaction. »
On s'interroge donc : outre ses très fortes accointances avec les grands
patrons des groupes de médias, est-ce la crainte qu'il suscite, la peur des
représailles s'il est élu, qui expliquent cette relative impunité dont
bénéficie Sarkozy quand il tient des propos ou prend des initiatives qui,
venant de Le Pen ou de Ségolène Royal, provoqueraient une irruption
réprobatrice dans le landernau ?
Pourquoi toutes ces angoisses affichées en privé, peut-être excessives, mais
qui ne s'expriment jamais en public : cette star de la télévision évoque, en
cas de victoire du candidat UMP, « un risque de contrôle quasi totalitaire
des médias » ; cette consour de LCI se dit « terrorisée à l'idée d'une
présidence sarkozyste » ; cette journaliste du Figaro, qui connaît bien le
candidat, et livre une description effectivement assez dantesque de son
caractère. Mais pas question de se dévoiler. Il fait peur. « Ma rupture avec
lui, confie Jean-François Probst, ex-secrétaire général adjoint du RPR des
Hauts-de-Seine et collaborateur de Charles Pasqua, c'est le gaullisme. Je
voulais, j'espérais qu'il serait l'homme de rassemblement. Or, il ne cesse
de semer la division. Et j'ai passé l'âge de me laisser impressionner par un
Hortefeux hystérique. » Mais les autres ?

LES CONFRÈRES ETRANGERS OSENT, EUX !
Les confrères étrangers, eux, n'ont évidemment pas ces pudeurs. Le
correspondant à Paris d'une radio suédoise interroge tout de go : « Sarkozy
ne représente-t-il pas un risque de dictature ? » Un journaliste de la
télévision croate qui a suivi le candidat dans ses pérégrinations en dresse
un portrait, d'ailleurs exagéré, à faire dresser les cheveux sur la tête. Le
Süddeutsche Zeitung Munich dépeint « un macho sans scrupule et brutal qui
joue avec la peur des gens ». Le Frankfurter Allgemeine Zeitunglui décerne
le prix de « l'homme politique le plus ambitieux et plus impitoyable
d'Europe qui n'a pas de vraie conviction, mais s'aligne sur l'humeur du
peuple ». Le quotidien espagnol El Pais voit en lui un héritier populiste
des « régénérationnistes de la droite espagnole de la fin du XIX> siècle ».
Le Tageszeitung de Berlin (de gauche, il est vrai) décrit un George Bush
tricolore qui veut imposer en France l'idéologie de la droite
néoconservatrice américaine. La presse italienne insiste sur sa proximité
avec la droite postfasciste de la péninsule (qui s'est, avec Gianfranco
Fini, ouverte à la modernité). Si la presse conservatrice britannique
identifie volontiers, avec admiration, Sarkozy à Mme Thatcher, la plupart
des journaux européens, en particulier scandinaves, l'assimilent plutôt à un
aventurier néobonapartiste qui représenterait une grave menace pour la
démocratie.

LA PEUR DE LA TRAPPE
En France, en revanche, tout se passe comme si ce type d'analyse était
indicible. On n'ose pas. On a peur. De quoi ? Des représailles si Petit
César l'emporte ? De la trappe qui s'ouvrira aussitôt ?
Celle qui s'est ouverte, par exemple, sous les pieds de la députée UMP
Nadine Morano. Elue de Lorraine, fervente sarkozyste, talentueuse femme de
tempérament, n ayant pas froid aux yeux, elle faisait partie de la task
force du candidat. Et, soudain, à la trappe ! Officiellement, parce qu'un
reportage diffusé sur France 3 lui a attribué un rôle un peu ridicule. Mais
il se trouve qu'étant l'une des rares à oser s'adresser avec franchise à son
héros elle lui avait fait remarquer que, entouré d'une nuée de courtisans
qui passaient leur temps à chanter ses louanges et sa gloire, il était
devenu allergique à la moindre remarque critique. Elle s'était en outre
inquiétée de sa tendance à s'immerger compulsivement dans les sondages qui
lui renvoyaient constamment sa propre image. Résultat : out ! « Cramée »,
disent les « bonnes camarades » de la pécheresse. Il fait peur.
Eh bien, il est temps de soulever cette chape de plomb. De braver cette
conspiration du silence.

CATHERINE NAY ENTRE LES LIGNES
Il y a quelques mois, Guillaume Durand consacrait deux heures de son
émission « Esprits libres », au livre plutôt hagiographique de Catherine Nay
consacré à Nicolas Sarkozy. Les livres hostiles au candidat UMP, assez
nombreux, n'ont jamais eu cette chance. Or la lecture de cet ouvrage,
honnête malgré tout, laisse une impression étrange. Certes il est censé
vanter les qualités du « grand homme » ; mais, en même temps, et au second
degré, il en dresse un portrait psychologique extraordinairement préoccupant
: celui d'un homme dont l'unique véritable sujet de préoccupation est
lui-même, sa propre saga et sa quête obsessionnelle du pouvoir. L'histoire
qui le fascine, c'est la sienne ; de l'humanité, il ne retient que sa part ;
son ascension, à quoi se réduit son seul idéal, débouche sur l'arrivée au
sommet qui constitue son seul rêve. Il ne lit qu'un livre, celui dont son
ambition constitue la trame. N'écoute qu'une seule musique, celle qui lui
permet sans répit de chanter son épopée. Aucune ouverture sur une autre
perspective que celle dont sa personne dessine l'horizon, sur un autre monde
que celui dont il occupe le centre.
Analyse-t-il les changements qui se produisent autour de lui, dans la
société ? Non... Mais, sans cesse, il revient sur le seul changement qui
l'obsède et rythme ses discours : son propre changement, dont il fait comme
un ressort. « C'est vrai, explique-t-il à Catherine Nay, j'étais égoïste,
dépourvu de toute humanité, inattentif aux autres, dur, brutal... Mais j'ai
changé ! » Sans cesse ensuite, au grand désarroi de ceux qui l'idolâtraient
quand il était, à l'en croire, si mauvais, il fera l'aveu de tout ce que lui
reprochent ses adversaires pour mieux magnifier l'ampleur des métamorphoses
par quoi il se transcende. Quitte à se révéler, à l'usage, plus égotique et
plus brutal encore. Au philosophe Michel Onfray il déclare, dans Philosophie
Magazine : « Je vais peut-être vous consterner, mais je suis en train de
comprendre la gravité des choix que j'ai faits. Jusqu'à présent, je n'avais
pas mesuré. »

IL N'A PAS LE DROIT DE LE DIRE
Finalement, le livre de Catherine Nay, bien que non suspect de malveillance,
ne révèle-t-il pas une certaine folie et des pulsions autocratiques chez cet
homme qu'elle qualifie elle-même de « bonapartiste » ? L hypothèse formulée
suscite, aussitôt, une levée de boucliers indignée sur le plateau de
l'émission. On n'a pas le droit de dire ça ! Verboten ! Le directeur du
Point, Franz-Olivier Giesbert, siffle le hors-jeu. Lequel Giesbert,
pourtant, ne se gêne nullement pour déclarer Dominique de Villepin passible
de l'asile d'aliénés. Un talentueux éditorialiste de droite convient, en
coulisse, qu'il y a « un vrai problème ! ». Halte là ! On n'a pas le droit
de dire ça ! C'est tabou !
Pourtant, sur toutes les ondes. Eric Besson, l'ex-responsable socialiste, a
pu expliquer que Ségolène Royal, Bécassine dangereusement allumée, déjà
comparée par Brice Hortefeux à Pol Pot, au fasciste Doriot et à Staline,
représente un mixte du maréchal Pétain et du général Franco.
Concernant Chirac, Villepin, Le Pen ou José Bové, on peut également tout
oser. Ce n'est qu'à propos de Nicolas Sarkozy qu'on n'aurait « pas le droit
de dire ça ! ». Mais qu'en revanche il serait loisible, comme Paris Match la
semaine dernière, de lui consacrer, sur des pages et des pages, des
dithyrambes grotesques dignes de Ceausescu, certains journalistes de ce
magazine dussent-ils nous avouer qu'ils en auraient « pleuré de honte »,
mais qu'on ne peut rien contre un ordre d'en haut ! (L'Express a même fait,
sur deux pages, ce titre ubuesque : « Sarkozy : il gardera son calme. »)

ET, POURTANT, EN PRIVE, ILS LE DISENT
Tous les journalistes politiques savent, même s'ils s'interdisent (ou si on
leur interdit) d'en faire état, qu'au sein même du camp dont Sarkozy se
réclame on ne cesse de murmurer, de décliner, de conjuguer. Quoi ? Ça ! Lui
confier le pouvoir, c'est, déclara Jacques Chirac à ses proches, « comme
organiser une barbecue partie en plein été dans l'Estérel ». Claude Chirac
a, elle, lâché cette phrase : « J'aurais préféré Juppé. Lui, au moins, c'est
un homme d'Etat. » Le ministre libéral François Goulard ne le dissimule pas
: « Son égotisme, son obsession du moi lui tient lieu de pensée. La critique
équivaut pour lui à une déclaration de guerre qui ne peut se terminer que
par la reddition, l'achat ou la mort l'adversaire. » Sa principale faiblesse
? Son manque total d'humanisme. « Chirac, lui, a le souci des autres, de
l'homme. Sarko écrase tout sur son passage. Si les Français savaient
vraiment qui il est, il n'y en a pas 5 % qui voteraient pour lui. »
Un des plus importants hiérarques l'UMP, officiellement soutien fervent d
candidat (comment faire autrement ?) renchérit : « Sarkozy, c'est le
contraire l'apaisement. Chirac, vous verrez, on regrettera. Lui, il n'a
jamais eu de mots violents. » « Attention, met en garde le minis de
l'Agriculture, Dominique Bussereau, on va très vite à la révolte
aujourd'hui. « La France, c'est du cristal », dit, inquiet Jean-Pierre
Raffarin.
Dominique de Villepin a mis sa langue dans sa poche. Il n'en pense pas
moins... que Sarko « a loupé sa cristallisation » ; que « sa violence
intérieure, son déséquilibre personnel, l'empêchent d'atteindre à hauteur de
la présidence ». Les chiraquiens du premier cercle, Henri Cuq (ministre
délégué aux Relations avec le Parlement) ou Jérôme Monod, le conseiller, ne
veulent pas déroger à la consigne du silence. Mais, en petit comité, les
mêmes mots reviennent : « Ce garçon n'est pas mûr. Il n'est pas fini. Il a
un compte à régler avec la vie qui le pousse à créer de l'affrontement
partout, et non à rassembler. » D'autres brodent « C'est un enfant qui
n'atteindra jamais l'âge adulte. » A quoi Roselyne Bachelot réplique : «
Mais tous les hommes sont immatures ! » On ne parle plus, on n'ose plus
parler, comme hier - du moins tout fort -, de « malfrat » ou de « petit
voyou » (pourtant, ce qu'on l'a entendu !). Mais, dans les coulisses de
l'Elysée, on laisse simplement tomber : « On fait confiance au peuple
français ! » Et, justement, il y a encore trois semaines, on se
communiquait, en jubilant, les sondages qui indiquaient une montée en
puissance de François Bayrou. Non point qu'on l'aime, celui-là, ce «
démocrate-chrétien jésuitique » mais, enfin, on ne va pas « laisser la
France tomber entre les mains de Catilina », dangereux aventurier populiste
romain dénoncé par Cicéron.

COMME UNE BANDE DES « CITES »
Un député UMP spécialiste des problèmes juridiques, eut le malheur de
s'opposer au ministre de l'Intérieur à propos des « peines plancher ». Il
est, et reste, sarkozyste. Pourtant, il fait part de son effarement. Cette
simple prise de distance lui valut d'être désigné du doigt, menacé de
représailles, ostracisé parle clan avec une violence « digne d'une bande des
cités ». C'est d'ailleurs un ex-haut responsable du RPR qui raconte : « En
septembre 1994, aux journées parlementaires de Colmar, alors que Balladur
était donné gagnant par tous les sondages, on eut affaire à la garde
rapprochée de Sarkozy.
Elle respirait l'arrogance, elle y allait de toutes les menaces. On disait
aux députés restés fidèles à Chirac qu'il allait "leur en cuire" »L'ancien
vice-président du RPR des Hauts-de-Seine Jean-François Probst confirme : «
Sarkozy croit toujours, comme en 1995, qu'il peut intimider les gens. Quand
je l'ai rencontré, dans les années 80, il avait déjà ses qualités - énergie,
ténacité -, et ses défauts, dont j'imaginais qu'il les corrigerait. Je
pensais, notamment, qu'il comblerait son inculture. Bernique ! Il n'a fait
que courir d'une lumière l'autre. Il est fasciné par ce qui brille, les
nouveaux riches, le show off, les copains à gourmettes même s'ils trichotent
avec les règles communes, Tom Cruise qu'il reçoit à Bercy, ébloui, et fait
raccompagner en vaporetto. »
Bien sûr, si les chiraquiens maintenus, les derniers villepinistes, les
ultimes vrais gaullistes, quelques libéraux ou ex-centristes ralliés à l'UMP
confient, à qui veut les entendre (mais les journalistes qui les entendent
n'en rapportent rien), que l'hypothèse d'une présidence Sarkozy les terrifie
; qu'il y a « de la graine de dictateur chez cet homme-là » ; que,
constamment, « il pète les plombs », de très nombreux élus UMP, les plus
nombreux, sont devenus des groupies enthousiastes de l'homme qui seul peut
les faire gagner et dont personne ne nie les formidables qualités de
battant. Et le courage. Mais même eux n'étouffent pas totalement leur
inquiétude et soulignent volontiers sa violence. « Oui, c'est vrai,
reconnaît l'un d'eux, il antagonise, il clive, il joue les uns contre les
autres avec la plus extrême cruauté. » « Il n'est vraiment totalement
humain, confie un autre, que quand il s'agit de lui-même. » « Il a un
problème de nerfs, de paranoïa, admettent-ils tous, mais il s'arrange, il
mûrit, il se densifie. » Voire...

UN LOURD SECRET
Donc, il y aurait, s'agissant du caractère de Sarkozy et de son rapport à la
démocratie, comme un lourd secret qui, au mieux, préoccupe ses amis, au pis,
angoisse ou affole ceux qui savent, un terrible non-dit dont bruissent les
milieux politico-journalistiques, mais que les médias s'interdisent, ou se
voient interdire, de dévoiler. Il fait peur ! La gauche elle-même participe
de cette occultation. Sans doute s'attaque-t-elle à Sarkozy, parfois même
avec outrance et mauvaise foi. Mais que lui reproche-t-elle ? D'être de
droite, ou même, stigmatisation suprême, une sorte de « néoconservateur
américain à passeport français », comme le clamait Eric Besson avant de
retourner sa veste. Est-ce un crime ? La diabolisation de la différence est
aussi contestable venant d'un bord que de l'autre. Le débat démocratique
implique qu'il y ait une gauche, un centre, une droite, cette dernière
n'étant pas moins légitime que ses concurrents. De même qu'une partie de
l'opinion reproche au PS d'avoir trahi l'idéal socialiste ; de même une
autre partie, importante, estime que Jacques Chirac a blousé son électorat
en menant une vague politique de « centre gauche » et exige un fort coup de
barre à droite.
C'est cette aspiration « à droite toute » que Sarkozy incarne avec énergie
et talent. Le combattre n'exige nullement qu'on criminalise a priori cette
incarnation.

IL EST DE DROITE, ET APRES ?
Oui, Sarkozy, en son tréfonds - et même si on l'a convaincu de ne plus rien
en laisser paraître -, est « atlantiste » et entend rompre avec la politique
gaulliste d'« orgueilleuse » prise de distance à l'égard des Etats-Unis.
Oui, il se réclama de George Bush à l'époque où celui-ci triomphait ; oui,
il est le candidat quasi unanimement soutenu par le CAC 40, le pouvoir
financier et la très haute bourgeoisie ; oui, ses convictions en matière
économique et sociale en font plus le disciple de Mme Thatcher que de
Philippe Séguin ; oui, il se sent beaucoup plus proche du modèle néolibéral
anglo-saxon que du modèle français mixte tel que l'ont façonné les
gaullistes, les sociaux-démocrates et les démocrates-chrétiens. Le
publicitaire Thierry Saussez, qui lui est tout acquis, explique que « sa
manière de faire de la politique renvoie à ce que les patrons et les
salariés vivent dans leurs entreprises ». Tout est business.
Mais, finalement, en tout cela, il ne se distingue guère des droites
européennes qui, comme lui, veulent démanteler l'Etat providence et
approuvèrent la guerre de George Bush en Irak.
Au demeurant, son pragmatisme, son cynisme même, son « populisme » de
tonalité bonapartiste, son intelligence instinctive, ne permettent nullement
de le décrire en ultralibéral ou en idéologue illuminé. Enfin, même si sa
proximité avec la droite néofranquiste espagnole ou berlusconienne italienne
n'en fait effectivement pas un « modéré », loin de là, et même si la
rhétorique agressivement extrémiste qu'il déroule, depuis quelques semaines,
le déporte loin du centre, le qualifier de « facho » ou de « raciste »,
comme s'y risque l'extrême gauche, est une stupidité.
Pourquoi faudrait-il (à condition de ne pas abuser des camouflages
logomachiques comme le fait le champion UMP quand il cite jean Jaurès ou
multiplie les envolées « ouvriéristes ») que se situer à droite constitue,
en soi, un délit ? On accuse également Sarkozy, ici de soutenir « l'Église
de Scientologie », et là d'avoir promis à Chirac une amnistie contre son
soutien. Mais il n'existe aucune preuve. Donc, on ne retient pas.

CETTE VERITE INTERDITE
Le problème Sarkozy, vérité interdite, est ailleurs. Ce que même la gauche
étouffe, pour rester sagement confinée dans la confortable bipolarité d'un
débat hémiplégique, c'est ce constat indicible : cet homme, quelque part,
est fou ! Et aussi fragile. Et la nature même de sa folie est de celle qui
servit de carburant, dans le passé, à bien des apprentis dictateurs.
Oh, évidemment, cela se murmure, au point même de faire déjà, au sein de la
couche supérieure de la France qui sait, et au fond des souterrains de la
France qui s'en doute, un boucan d'enfer. Les médiateurs savent, les
décideurs le pressentent. Mais les uns et les autres ont comme signé un
engagement : on ne doit pas, on ne doit sous aucun prétexte, le dire.
Etrange atmosphère que celle qui fait que, dans cette campagne électorale,
ce qui se dit obsède peu, mais ce qui obsède énormément ne se dit pas ; que
ce dont on parle au sein des médias et chez les politiques, les médias,
précisément, et les politiques n'en parlent pas !
« Fou », entendons-nous : cela ne rature ni l'intelligence, ni l'intuition,
ni l'énergie, ni les talents du personnage. « Fou » au sens, où, peut-être,
de considérables personnages historiques le furent ou le sont, pour le
meilleur mais, le plus souvent, pour le pire. Ecoutons ce que nous confie ce
député UMP, issu de l'UDF, officiellement intégré à la meute « de Sarkozy »
: « On dit qu'il est narcissique, égotiste. Les mots sont faibles.
Jamais je n'ai rencontré une telle capacité à effacer spontanément du
paysage tout, absolument tout, ce qui ne renvoie pas à lui-même. Sarko est
une sorte d'aveugle au monde extérieur dont le seul regard possible serait
tourné vers son monde intérieur Il se voit, il se voit même constamment,
mais il ne voit plus que ça. »

PLUS FORT QUE LUI...
Au fond, où est le mystère ? Sarkozy, c'est peut-être une qualité, est
transparent. Aux autres et à lui-même. Moins il regarde, plus il se montre,
s'affiche, se livre. D'autant, comme le reconnaît un publicitaire qui a
travaillé pour lui, qu'il ne sait pas se réfréner, se contraindre. « Il est
tellement fort, ajoute-t-il drôlement, qu'il est plus fort que lui. » La
raison ne parvient jamais à censurer son tempérament. Prompt à interdire, il
ne sait pas s'interdire. Quelque chose en lui, d'irrépressible, toujours,
l'entraîne au-delà. « Sur un vélo, rapporte Michel Drucker qui a souvent
pédalé à ses côtés, même quand il s'agit d'une promenade, il se défonce
comme s'il devait constamment battre un record. »
Tous ses proches emploient spontanément la même expression : « Il ne peut
pas s'empêcher » Par exemple, de dire du mal de Chirac, même quand la
prudence exigerait qu'il s'en abstienne. Ainsi, en 1994, cette salve : «
L'électroencéphalogramme de la Chiraquie est plat. Ce n'est plus l'Hôtel de
Ville, c'est l'antichambre de la morgue. Chirac est mort, il ne manque plus
que les trois dernières pelletées de terre. » Il ne peut pas s'empêcher, non
plus, de se livrer à un jubilatoire jeu de massacre en direction de ceux, de
son propre camp, qui ne sont pas de sa bande ou de sa tribu. « Jamais,
peut-être, un leader politique n'avait aussi systématiquement pris son pied-
dixit une de ses victimes au sein de l'UMP-à assassiner, les unes après les
autres, les personnalités de son propre camp pour, après le carnage, rester
seul entouré de ses chaouches. »
Après la défaite de 1995, ne s'est-il pas livré, dans le journal les Echos,
sous pseudonyme, à une descente en flammes de ses propres comparses :
François Fillon ? « Un nul qui n'a aucune idée. » Michel Barnier ? « Le vide
fait homme. » Philippe Douste-Blazy ? « La lâcheté faite politicien. » Alain
Juppé ? « Un dogmatique rigide. Fabius en pire. » Quant à Villepin, il s'est
plu, si l'on en croit Franz-Olivier Giesbert, à lui promettre de finir «
pendu au croc d'un boucher ». Vis-à-vis des autres, fussent-ils des amis
politiques, aucune tendresse ! Jamais !

IL SUFFIT DE L'ÉCOUTER
Sarkozy, il suffit, au demeurant, de le lire ou de l'écouter. De quoi
parle-t-il ? De lui. Toujours. Compulsivement. Psychanalytiquement. Que
raconte-t-il ? Lui ! Qui prend-il comme témoin ? Lui ! Qui donne-t-il en
exemple ? Lui ! Il est, jusqu'au délire parfois, sa propre préférence.
Jamais hors « je ». Ce « je » qui, à l'entendre, est forcément « le seul qui
», « le premier à », « l'unique capable de », « le meilleur pour ». Comme si
l'univers tout entier était devenu un miroir qui ne lui renvoie plus que son
reflet, quitte à entretenir constamment chez lui l'angoisse que le miroir
lui dise un jour, comme à la marâtre de Blanche Neige, qu'il n est « plus la
plus belle ».
C'est pourquoi, d'ailleurs - et même ses proches s'en effarent-, il vit
constamment immergé dans les enquêtes d'opinion, qui, plusieurs fois par
jour, ont pour objet de le rassurer sur l'évolution de son image. Un
argument ne passe pas ? On y renonce. Un mot fait tilt ? On le répète à
satiété. Une peur s'exprime ? On la caresse dans le sens du poil. Le public
veut des expressions de gauche ? On lui en servira. Une musique d'extrême
droite ? On la lui jouera. Il a même été jusqu'à faire l'éloge de la
violence sociale... des marins pêcheurs.
Il commande tellement de sondages qu'il est devenu le meilleur client de
certains instituts, qui, du coup, ont quelques scrupules à ne pas satisfaire
son contentement de soi. Il a même réussi à inspirer à l'Ifop des sondages,
publiés dans le Figaro, dont les questions quasiment rédigées par son
entourage (sur l'affaire de Cachan ou la polémique avec les juges) ne
permettaient pas d'autres réponses que celles qui le plébiscitaient.

IL EST « LE SEUL QUI... »
Etrangement, si, constamment confronté à son reflet, il ne cesse
d'intervenir pour en corriger les ombres, sa capacité d'écoute (ou de
lecture) est extrêmement faible. Invite-t-il des intellectuels médiatiques à
déjeuner au ministère de l'Intérieur que l'un d'eux, Pascal Bruckner (qui
pourtant le soutient), explique que, loin de s'imprégner de leurs analyses,
il a pratiquement parlé tout seul. Reçue par lui, la démographe Michèle
Tribalat lui écrit « J'ai pu apprécier votre conception du débat. Vous
n'imaginez pas qu'un autre point de vue (que le vôtre) présente un
quelconque intérêt. » D'ailleurs, il refuse les débats. Lors de ses
prestations télévisées, on s'arrange pour qu'il n'ait jamais de vrais
contradicteurs pouvant exercer un droit de suite. Le plus souvent, il
choisit, d'ailleurs, lui-même les autres intervenants.
Cette abyssale hypertrophie du moi, à l'évidence, entretient chez Sarkozy
cette hargne de conquête, de contrôle, cette boulimie de pouvoir exclusif,
le conduit à éradiquer toutes les concurrences potentielles et à
neutraliser, à étouffer contestations et critiques. Il suffit, d'ailleurs,
de l'écouter, mais aussi de le regarder « être » et « faire ». Jamais il ne
se résout à n'être qu'un membre, fût-ce le premier, d'un collectif.
Forcément l'unique, le soleil autour duquel tournent des affidés. D'où sa
prédilection pour un entourage de groupies de grandes qualités et de grands
talents, à la vie à la mort, « une garde rapprochée » comme on dit, mais
aussi de porte-serviettes et de porte-flingues, de personnages troubles
encombrés de casseroles et de transfuges. Avec eux, peu de risques !

DOUBLE DISCOURS
Il y a, chez Sarkozy, une incroyable dichotomie du discours (ou plutôt du
double discours). Seul peut l'expliquer le fait que le rapport à lui-même
est, chez lui, à ce point central que cette centralité de l'ego épuise en
elle-même, et donc en lui-même, toute contradiction. Ainsi, au lendemain de
ses brutales tentatives de criminalisation de ses concurrents, Bayrou
l'ayant épinglé sur l'affaire du déterminisme génétique, il déclare
benoîtement « Un candidat devrait s'abstenir de toute attaque contre ses
adversaires ! » Le jour même où il décide de jouer à fond, contre les
candidats qui lui sont opposés - et avec quelle violence ! -, la stratégie
guerrière de l'affrontement manichéen, il présente un opuscule dans lequel
il explique (sous la rubrique « J'ai changé ») qu'il eut, certes, sa phase
brutale, mais qu'il est désormais totalement zen et apaisé. Azouz Begag,
dans son récit, rapporte que, lorsqu'il osa critiquer l'emploi du mot «
racaille », le ministre de l'Intérieur hurla qu'il s'agissait d'un
scandaleux manque de solidarité gouvernementale, qu'il était inconcevable
qu'un ministre critique un collègue. Or, depuis des mois, il avait lui-même
déclenché un tir nourri contre Chirac et Villepin, son président de la
République et son Premier ministre.
D'une façon générale, il en appelle volontiers à une solidarité sans faille
des siens, tout son camp devant se mettre à sa disposition, mais, pendant la
crise du CPE, alors qu'il avait lui-même, le premier, préconisé ce type de
contrat de travail, non seulement il en pointa soudain l'inanité et exigea
son retrait, mais, en outre, il incita l'un des leaders de la révolte
estudiantine à « tenir bon ». Il s'agissait, évidemment, d'achever Villepin.

COMME ON ASSASSINE TOUS LES CONCURRENTS...
A entendre les chiraquiens, même ceux qui se sont ralliés à son panache,
c'est lui, Sarkozy, qui, ministre du Budget de Balladur, lança la justice
sur la piste du scandale des HLM de Paris après que, dans l'espoir d'un
étouffement, l'industriel Poullain, le patron d'une société de revêtement, e
emmené le dossier à son lieutenant, Brice Hortefeux. Objectif ? Abattre
Chirac ! C'est lui encore, prétendent-ils, qui aurait fait révéler, au
Canard enchaîné, l'affaire d l'appartement d'Hervé Gaymard, en qui voyait un
adversaire.
C'est lui encore q fit distiller, dans la presse, de quoi faire
continuellement rebondir le feuilleton du scandale Clearstream transformé e
machine à broyer et achever Dominique de Villepin. Quand, dans un grand
meeting parisien, il lança que la victoire d oui au référendum européen
permettrait de sortir, enfin, du modèle social fiançai n'était-il pas
conscient qu'il favorisait de sorte le camp du non et, par voie de
conséquence, plombait le pauvre Jean-Pierre Raffarin ? Autrement dit, soyez
avec moi qui ai profité de toutes les occasions pour être contre vous. En
fait Sarkozy vit ses contradictions comme une cohérente unicité de parcours
dès lors que c'est lui, l'unique, le point central, qui porte et justifie
cette cohérence. Ainsi, lorsqu'il accuse ses concurrents, de gauche ou
centristes, d'être les candidats de la fraude, de la voyoucratie et de la
dégénérescence morale, c'est le jour où Tapie, l'un des rares affairistes
qui lui manquait encore, se rallie à lui.

FAILLITE MORALE, DIT-IL
Quelle capacité d'auto-amnistie cela révèle !
Car, enfin, se faire, fût-ce en partie, offrir un luxueux appartement
aménagé par le promoteur qu'on a systématiquement favorisé en tant que
maire, et dans l'espace dont on a, toujours comme maire, financé
l'aménagement, est-ce un exemple d'attitude hautement morale ? Permettre,
après qu'on fut devenu ministre, à son ancien cabinet d'avocats, en partie
spécialisé dans les expulsions de locataires après vente à la découpe, de
continuer à porter son nom - société Arnault Claude Nicolas Sarkozy-, ce qui
s'avère d'autant plus intéressant qu'on continue à détenir un gros paquet
d'actions et à toucher des dividendes -, est-ce le modèle même du
comportement impitoyablement moral ? Publier un livre consacré à l'ancien
ministre Georges Mandel qui se révèle, pour partie au moins, être un plagiat
coupé-collé de la thèse universitaire de Bertrand Favreau, certaines erreurs
comprises, est-ce la quintessence du moralisme intégral ?
Est-ce une moralité sans faille qui permit à Thierry Gaubert d'organiser son
vaste système de gestion arnaqueuse du 1 % logement dans les Hauts-de-Seine
à l'ombre des réseaux sarkozystes dont il fut, un temps, l'un des principaux
rouages ? Est-ce sous le drapeau de la moralité qu'on envoya de gros clients
très évasifs au banquier suisse Jacques Heyer qui, d'ailleurs, consuma leur
fortune (celle de Didier Schuller en particulier) ? Les rapports d'affaires
(ou de tentatives d'affaires) avec l'intermédiaire saoudien Takieddine
étaient-ils placés sous le signe de l'intégrisme moral ? Le soutien constant
apporté aux intérêts du groupe Barrière dans les casinos et les machines à
sous ne fut-il dicté que par des considérations moralistes ? Pourquoi,
enfin, avoir promis de rendre public son patrimoine et être le seul à s'en
être abstenu ?

UN SYSTEME CLANIQUE
Sarkozy n'est pas du tout un malhonnête homme. Simplement il est, fût-ce à
son corps défendant, le pur produit d'un système, celui du RPR des
Hauts-de-Seine, dont Florence d'Harcourt, l'ex-députée gaulliste de Neuilly,
a crûment décrit l'irrépressible mafiosisation, renforcée par le déferlement
des flux financiers immobiliers générés par le développement du quartier de
la Défense, dont Sarkozy tint d'ailleurs à présider l'établissement public.
Son suppléant, en tant que parlementaire, fut d'ailleurs le maire de
Puteaux, Charles Ceccaldi-Raynaud, puis sa fille qui, bien qu'adjointe à la
mairie de Puteaux, bénéficia en même temps d'un emploi fictif à la mairie de
Neuilly. Quand Sarkozy voulu récupérer son siège de député, hop ! , on la
nomma au Conseil économique et social. Devenu, à tort ou à raison, le
symbole d'une certaine « ripouïsation » d'un demi-monde de politiciens
locaux, Ceccaldi-Raynaud, petit dirigeant socialiste en Algérie française,
dû regagner précipitamment la métropole à la suite des graves accusations
dont il était l'objet, y compris d'avoir toléré des mauvais traitements dans
un camp de prisonniers dont il était responsable. En France, élu de la
gauche SFIO à Puteaux, il passa à droite et, lors de l'une de ses premières
campagnes électorales, ses gros bras tuèrent un militant socialiste et en
blessèrent d'autres.
Ensuite, il traîna derrière lui tellement de casseroles (dernière affaire :
il est mis en examen dans une affaire de marché truqué de chauffage urbain)
qu'il devint une sorte de mythe. Sarkozy, ce qui plaide peut-être en faveur
de son sens de la fidélité, ne l'a jamais lâché, même quand, ministre des
Finances, il aurait pu ou dû. Quand la fille Ceccaldi-Raynaud, députée-maire
à son tour, mécontente des critiques d'un journaliste blogueur, laisse
publier sur le site de la mairie une lettre laissant supposer une
inclinaison infamante, Sarkozy ne moufte toujours pas. Il resta pareillement
fidèle à son grand ami le député-maire de Levallois Patrick Balkany.
Quand ce dernier, archétype lui aussi du roi de la magouille
affairisto-municipale, employeur à son seul profit du personnel de la
mairie, accablé par la justice et accusé, en prime, de se livrer à des
fellations sur menace de revolver, écarté du RPR, est défié par un gaulliste
clean, Olivier de Chazeaux, qui soutint Sarkozy ? Patrick Balkany.
C'est-à-dire le délinquant. Notons que les Levalloisiens, par suite d'une
gestion que soutient Sarkozy, supportent une dette de 4 000 à 6 000 ? par
habitant. C'est, d'ailleurs, le cabinet d'avocats Sarkozy qui défend, en
autres, la mairie de Levallois, laquelle accumule les contentieux.

QUI SONT SES SOUTIENS ?
Faut-il rappeler que ses principaux et premiers supporteurs dans le monde
politique ne furent et ne sont pas spécialement vêtus de probité candide
Alain Carignon, Gérard Longuet, Thierry Mariani, Manuel Aeschlimann (150
procédures, 600 000 ? de frais d'avocats par an) et même Christian Estrosi
n'ont pas précisément défrayé la chronique à cause de la blancheur immaculée
de leur curriculum vitae. Il paraît même que Pierre Bédier en pince
désormais pour lui.
Quant à son fan-club, qui prétendra qu'il n'est constitué que de parangons
de vertu : Doc Gyneco, chargé comme un sherpa, Johnny Hallyday qui répudie
la France pour ne plus payer d'impôts, comme Jean-Michel Goudard, l'un de
ses principaux conseillers en communication, Antoine Zacharias, le Napoléon
des stock-options ?
Certes, à l'image de Simone Veil ou de l'écrivain Yasmina Reza, de très
nombreuses personnalités de grande qualité, représentant tous les milieux et
toutes les professions, soutiennent également Sarkozy, y compris certaines
en provenance d'une haute intelligentsia réputée de gauche, mais droitisée
par leur soutien à la guerre d'Irak. Reste que le profil de ses partisans
les plus enthousiastes et les plus engagés, y compris les plus faisandés des
ex-petits marquis mitterrandolâtres, ne font pas nécessairement de Sarkozy
(dont il n'est pas question de mettre en doute l'intégrité ou l'allergie à
la déviance) le mieux placé pour dépeindre l'ensemble de ses adversaires en
défenseurs de la fraude, de la délinquance et de la décadence morale.

« L'IDENTITÉ NATIONALE », PARLONS-EN...
Est-il, en revanche, fondé à se proclamer seul défenseur de « l'identité
nationale » ? Mais qui se déclarait « fier d'être surnommé Sarkozy
l'Américain » ?
Qui affirma, aux Etats-Unis, qu'il s sentait souvent « un étranger dans son
propre pays » ?
Qui regretta que la France ait bran son droit de veto pour s'opposer à la
guerre d'Irak ?
Qui stigmatisa, depuis l'Amérique « l'arrogance » dont aurait fait preuve
Dominique de Villepin lors de son fameux discours devant le Conseil de
sécurité de l'ONU ?
Qui, avant de confier au chiracoséguiniste Henri Guaino le soin de rédiger
ses interventions, opposa sans cesse le ringardisme du « modèle français » à
la modernité du modèle anglo-saxon ?
Nicolas Sarkozy pourrait d'ailleurs largement figurer dans la rubrique « Ils
ont osé le dire », tant ses propos, depuis quinze ans, illustrent
éloquemment tout ce qui précède, c'est-à-dire une dichotomie rhétorique qui
se cristallise dans l'unicité de son exaltation du moi !
Citons, presque au hasard : « Il y en a combien qui peuvent se permettre
d'aller à La Courneuve ? Je suis le seul [toujours le seul !] à être toléré
dans ces quartiers. Je suis le seul ! » « J'irai systématiquement, toutes
les semaines, dans les quartiers les plus difficiles et j y resterai le
temps nécessaire » (2005).
« Kärcher en septembre, 200 000 adhérents [à l'UMP] en novembre. » «
Racaille, le vocable était sans doute un peu faible. »
« Vous savez pourquoi je suis tellement populaire ? Parce que je parle comme
les gens » (avril 2004).
« Maintenant, dans les réunions publiques, c'est moi qui fais les questions
et les réponses et, à la sortie, les gens ont l'impression qu'on s'est
vraiment parlé » (le Figaro, mai 2005).
« Les gens qui habitent Neuilly sont ceux qui se sont battus pour prendre
plus de responsabilités, pour travailler plus que les autres. »
« Si je ne faisais pas attention, tous les jours je serais à la télévision
jusqu'à ce que les téléspectateurs en aient la nausée » (1995).
« Le rôle du politique est de tout faire pour ne pas exacerber les tensions.
Plus la société est fragile, moins le discours doit être brutal. La
meilleure façon de faire avancer la société, c'est de la rassurer, non de
l'inquiéter La réforme doit être comprise comme un ciment, non comme une
rupture » (juillet 2006 dans Témoignages).
« Je n'aime pas étaler ce qui, finalement, appartient à ma vie privée. »
« La France souffre de l'égalitarisme et d'un état de nivellement. »
« Dans un monde où la déloyauté est la règle, vous me permettrez d'afficher,
de manière peut-être provocante, ma loyauté envers Jacques Chirac » (juin
1992).
« Je refuse tout ce qui est artifice pour façonner à tout prix une image,
les photos avec femme et enfants, la success-story, vouloir se faire aimer,
poser en tenue décontractée. »
On nous dira, ensuite : il faut lui faire confiance, il faut le croire. Mais
où est le filet de sécurité ?

LE VRAI DANGER
On évoque obsessionnellement le danger Le Pen. Il existe un risque, en
effet. Un terrible risque que, comme en 2002, le leader de l'extrême droite
déjoue tout les pronostics et porte ainsi un nouveau coup à notre système
démocratique. Mais tout le monde sait que Le Pen, lui, ne sera pas élu
président de la République. Heureusement, il ne dispose, lui, contrairement
à son adversaire - concurrent de droite (à l'égard duquel il fait preuve
d'une certaine indulgence), ni du pouvoir médiatique, ni du pouvoir
économique, ni du pouvoir financier. Pouvoirs qui, en revanche, si Sarkozy
était élu - et il peut l'être -, ainsi que le pouvoir policier et militaire,
seraient concentrés, en même temps que les pouvoirs exécutif et législatif,
entre les mêmes mains, lesquelles disposeront, en outre, d'une majorité au
Conseil constitutionnel, au CSA et au sein de la plupart des institutions du
pays.
Hier, le journal la Tribune trappait un sondage parce qu'il n'était pas
favorable à Sarkozy ; une publicité pour Télérama était interdite dans le
métro parce qu'elle était ironique à l'égard de Sarkozy ; un livre était
envoyé au rebut, le patron d'un grand magazine également, parce qu'ils
avaient importuné Sarkozy ; Yannick Noah était censuré, parce que ses propos
déplaisaient à Sarkozy. Aucun journal, fût-il officiellement de gauche, n'a
échappé aux efficaces pressions de Sarkozy.
Voter Sarkozy n'est pas un crime. C'est même un droit. Nous ne dirons pas,
nous, que ce candidat représente la fraude, la délinquance, l'anti-France et
la faillite morale.
Nous voudrions simplement qu'on se souvienne plus tard - quitte, ensuite, à
nous en demander compte - que nous avons écrit qu'il représente pour la
conception que nous nous faisons de la démocratie et de la République un
formidable danger.
S'il est élu, nous savons que nous pourrions en payer le prix. Nous
l'acceptons !

14 au 20 avril 2007 / Marianne

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Commentaires
jean-fred
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